La ligne Saint-Nazaire – Veracruz

 

Saint-Nazaire, une création de l’Empire.

(page créée d’après l’ouvrage de Yves Robin)

Par décret impérial du 25 août 1861, Napoléon III crée la Compagnie Générale Transatlantique.


Fac-similé du décret impérial autorisant la Compagnie Générale Maritime à prendre la dénomination de Compagnie Générale Transatlantique, 25 août 1861.
Source : Département de Loire-Atlantique, Archives départementales.

C’est aussi l’empereur qui désigna Saint-Nazaire comme de tête de pont de l’expédition du Mexique (1862-1867) afin d’assurer une liaison permanente entre le corps expéditionnaire et la France. Ainsi, le 14 avril 1864 ce sont principalement des soldats, du matériel militaire, des chevaux et des mules qui embarquèrent à bord de la Louisiane sous le commandement de l’officier de marine Nouvellon. Le départ s’effectua dans la liesse populaire, accompagné des discours enflammés des personnalités conviées au banquet, présidé par Émile Pereire président de la Compagnie Générale Transatlantique, qui eut lieu à bord de la Floride.

Messieurs, permettez-moi de le dire ici, c’est une grande satisfaction pour moi, qui a eu l’insigne honneur, au début de ma carrière, il y a 30 ans, d’’entreprendre la fondation du premier chemin de fer à grande vitesse ayant son point de départ à Paris, pour moi qui ai pu, quinze ans plus tard, faire, sur le même chemin, la première application en France de la télégraphie électrique, c’est une vive satisfaction et une récompense véritable que de pouvoir présider à l’organisation de ces grands services qui effacent les distances entre les deux Mondes et vont de plus en plus approprier à nos besoins, au développement de nos relations commerciales, aux progrès de notre industrie, à nos relations de famille et de plaisir, les découvertes de Christophe Colomb.

Ernest Merson, Les paquebots transatlantiques des Antilles. Fêtes d’inauguration les 12, 13 et 14 avril 1862, Paris, éditions Dentu, libraire-Éditeur, Palais Royal,1862, p.39.

Ce 14 avril marque l’avènement d’un monde nouveau : un monde où les hommes, les marchandises et les informations ont la possibilité de circuler comme jamais auparavant dans l’histoire de l’humanité. La vapeur combinée à la roue et à l’hélice permet de voyager plus vite, plus sûrement et avec plus de régularité. Le XIXème siècle fut assurément le premier siècle de la vitesse et Saint-Nazaire, jadis petit bourg marin posté à l’embouchure de la Loire telle une sentinelle de la mer, inaugurait la première liaison transocéanique de l’histoire de la navigation française, devenant le symbole de cette révolution technologique, sociale et humaine.

Un monde nouveau s’ouvre à toutes les illusions et les convoitises.

Après l’indépendance des colonies ibériques, dans le premier quart du XIXe siècle, l’Amérique s’offrait aux rêves et aux convoitises des Européens. Les empereurs et leurs diplomates intrigants, les capitaines de vaisseaux et leurs marins intrépides, les banquiers et leurs petits porteurs souvent floués, les industriels et leurs ouvriers misérables, les négociants et leurs conseillers mercantiles, les aventuriers et leurs illusions partirent à la conquête de cette « nouvelle » terre appelée El Dorado. Ainsi, ce siècle allait-il connaître la plus grande migration humaine de l’histoire marquée par l’exode des campagnes vers les villes, la colonisation de nouveaux territoires et surtout la traversée des océans, voyage devenu économiquement accessible au plus grand nombre. Entre 1846 et 1875, plus de 9 millions de personnes quittèrent l’Europe à destination du Nouveau Monde.

Si les Européens convoitaient les richesses du continent, les États-Unis voulaient imposer leur domination politique, économique et culturelle sur l’ensemble du continent. Cette politique expansionniste fut soutenue par deux doctrines : La « Destinée manifeste » qui avait pour objectif de bâtir une puissante nation de l’Atlantique au Pacifique et la « Doctrine Monroe » qui visait à empêcher toute nouvelle tentative d’intervention européenne en Amérique.

L’achat de territoires, la négociation de traités sur les frontières, le financement de mouvements séparatistes, la guerre, l’extermination, la déportation et l’assimilation forcée furent les stratégies qui permirent aux États-Unis d’augmenter leur territoire du triple de ce qu’il était en 1783. Plusieurs nations furent les protagonistes, volontaires ou contraints, de ce processus de colonisation notamment la France, les nations indiennes et le Mexique.

« La grande pensée du règne »

D’un point de vue politique, l’Expédition du Mexique avait pour but de contrecarrer l’expansionnisme étasunien en Amérique, c’est ce que l’on a appelé « La grande pensée du règne ». L’objectif était d’établir un empire catholique aux portes des États-Unis– Maximilien de Habsbourg fut désigné Empereur du Mexique – afin de limiter la domination anglo-saxonne. C’est à cette époque que la domination « Amérique latine » fera son apparition pour désigner la partie du continent située au sud du rio Bravo.

Les débuts prometteurs de la Compagnie Générale Transatlantique.

Grâce à la guerre du Mexique et à la manne de l’argent public, la ligne postale Saint-Nazaire-Veracruz fut un succès financier pour la Compagnie Générale Transatlantique. Cependant, l’avenir de la Compagnie se jouait sur l’Atlantique nord. Au cours du siècle les échanges avec les Etats-Unis s’étaient accrus de façon exponentielle et le trafic maritime, monopolisé par les compagnies anglo-saxonnes, connaissait une croissance vertigineuse. C‘est pourquoi, les frères Pereire décidèrent de créer une ligne postale entre Le Havre et New-York qui fut inaugurée le 15 juin 1864 par le paquebot en fer et à roues Washington pouvant atteindre la vitesse de 12 nœuds qui relia Le Havre à New-York en treize jours avec 400 passagers à son bord dont 200 migrants. La nouvelle ligne se révéla particulièrement rentable et le service bimensuel devint hebdomadaire dès 1868. Ce succès renforça la position du Havre dans la stratégie commerciale de la Compagnie tandis que Saint-Nazaire subissait le contre-coup de l’arrêt des relations diplomatiques entre la France et le Mexique.


Lignes maritimes postales de la Compagnie Générale Transatlantique vers l’Amérique en 1865. Carte réalisée par l’auteur.
On remarque l’escale de Brest – elle sera supprimée en 1875 – sur la ligne Le Havre-New-York ouverte en 1864.

La guerre de 1870 qui paralysa le trafic maritime, fragilisa l’équilibre financier de la Compagnie et la victoire allemande renforça la puissance des compagnies au départ de Hambourg et Brême.

Á Saint-Nazaire, le conflit eut pour conséquence la suspension presque complète des crédits destinés au creusement du second bassin de Penhoët qui ne sera finalement achevé qu’en 1881. L’encombrement du premier bassin, les difficultés d’embarquement/débarquement rendait le port inadapté à l’augmentation du trafic maritime faisant craindre que les armateurs ne délaissent Saint-Nazaire au profit d’autres ports. Parallèlement, le nouveau président de la Compagnie Générale Transatlantique, Édouard Vandal, déterminé à redresser les comptes de la compagnie, entreprit de moderniser la flotte postale et de réorienter certaines lignes d’Amérique centrale vers Le Havre. C’était le commencement d’un affrontement entre la ville et la Compagnie qui allait durer plusieurs décennies : la première mettant en avant sa survie économique, la seconde invoquant les contraintes du marché.

Veracruz, Mexique


Vue aérienne du port de Veracruz en 1860. Source : Archives de l’État de Veracruz, Fonds Acosta, Xalapa Enríquez, Mexique.

Cette photographie prise d’un ballon nous permet de distinguer la double ligne de fortifications en forme de demi-cercle. En haut à gauche le fort de San Juan Ulúa, en haut au centre Isla verde, en haut à droite Isla de Sacrificios. On aperçoit nettement le quai de débarquement/embarquement – muelle – situé au centre des murailles formant le front de mer. Á droite les arènes – plaza de toros – et la gare – estación de ferrocarril – point de départ du premier tronçon de la ligne Veracruz – Mexico, inauguré en 1850, qui rejoignait La Tejada, 12 kilomètres plus loin

Le port de Veracruz occupe une position stratégique au cœur d’un espace maritime constitué du golfe du Mexique, des Caraïbes et de la partie de l’océan Atlantique qui touche les côtes ouest des États-Unis et tout le littoral ouest de l’Europe.

Durant la colonisation espagnole, ses quais et ses chantiers virent passer la quasi-totalité des échanges marchands et humains entre la Nouvelle-Espagne et la péninsule ibérique. Les navires armés à Séville ou à Cadix, passage obligé des importations et exportations de la colonie, transportaient passagers et produits de la métropole à Veracruz et prenaient en retour les matières premières et le Trésor espagnol en provenance de la colonie. De ce fait, l’axe Veracruz – Mexico, à l’époque reliées par des chemins, devint une des principales routes commerciales de l’Amérique hispanique.

Mémoire vivante de l’histoire tragique du Mexique, Veracruz fut désignée comme quatre fois « Héroïque ». Elle gagna son premier « H » en 1825 lorsque les troupes mexicaines obtinrent la reddition des derniers soldats espagnols qui occupaient le fort de San Juan de Ulúa et bombardaient la ville de façon intermittente, Ferdinand VII considérant toujours que le Mexique était une colonie rebelle. Puis, elle fit face « héroïquement » à deux interventions militaires : la première fut l’œuvre des Français, en 1838, au moment de la fameuse Guerra de los Pasteles, la seconde eut lieu au moment de l’invasion étasunienne, en 1847. Plus tard, en 1858, elle devint le principal bastion de la guerre de la Réforme et le siège du gouvernement libéral. Enfin, en avril 1914, pendant la révolution mexicaine, elle gagna son quatrième « H » quand elle s’opposa une nouvelle fois au débarquement des troupes étasuniennes qui avaient reçu l’ordre d’arraisonner un navire marchand allemand transportant des armes destinées à Victoriano Huerta président du Mexique non reconnu par les États-Unis. Á cette occasion près de 200 Mexicains perdirent la vie en défendant le sol de leur patrie. Victorieux, les soldats étasuniens occupèrent la ville pendant 7 mois.

Le « Porfiriato »

Á partir de 1876, la stabilité politique porfirienne conjuguée avec l’attraction des entreprises étrangères, la demande d’immigration et la construction de voies de chemin de fer renforcèrent considérablement le rôle du port de Veracruz, principale porte d’entrée et de sortie pour les marchandises, les colons et les voyageurs.

La devise du gouvernement de Porfirio Díaz , Orden y progreso, inspirée du positivisme d’Auguste Comte et mise en œuvre par un groupe de politiciens – parmi lesquels José Limantour, ministre des finances, dont la famille était originaire de Lorient – appelé los Cientifícos, se traduisait par une politique d’ouverture aux capitaux étrangers et de construction de moyens de communication modernes visant à favoriser l’activité économique dans un pays en paix et provisoirement libéré de ses vieux démons révolutionnaires. Si le Porfiriato est souvent présenté comme une période de profondes inégalités dans la société mexicaine, de répression politique et syndicale, il est aussi synonyme de progrès économique et technologique.

Veracruz allait pleinement bénéficier de cette nouvelle politique et à l’instar de Saint-Nazaire, son essor économique fut stimulé par la construction du chemin de fer la reliant à la capitale, Mexico.


Carte du chemin de fer de Veracruz à Mexico, 1877
Source : Historia de México 1, Unidad 5, Contexto mundial 1854-1900, Portal Académico, Colegio de Ciencias y Humanidades, Universidad Autónoma de México, 2013.
C’est la plus ancienne ligne de chemin de fer au Mexique. La ligne Veracruz-Mexico couvre une distance de 424 kilomètres, l’embranchement de Veracruz à Xalapa/Jalapa, 98 kilomètres et celui d’Apizago à Puebla, 47 kilomètres.

Pendant les années 1880, Veracruz devint la principale connexion entre l’Europe et le continent américain et les vapeurs qui y accostaient avaient pratiquement tous un tonnage supérieur à 1 000. Avec la multiplication des lignes maritimes et l’augmentation des tirants d’eau des navires, les infrastructures portuaires devinrent rapidement obsolètes : le transbordement des marchandises et des passagers entre les navires et le quai s’effectuait toujours à l’aide de petits bateaux à voiles ou à rames rendant les opérations de déchargement longues et difficiles voire périlleuses.

Les opérations de modernisation commencèrent en 1882. Néanmoins, le coût et la difficulté des travaux firent qu’en 1887 le site n’était ni sûr ni adapté aux nouveaux navires. La situation exigeait d’entreprendre des travaux d’une toute autre ampleur. Ce gigantesque chantier débuta en 1895 sous la conduite de la société britannique Veetman D. Pearson et ne s’acheva qu’en 1902.
Malgré cela, l’accroissement sans précédent des échanges maritimes internationaux – au début de XXe siècle, Veracruz recevait environ 60 navires de compagnies transatlantiques par mois – conjugué aux carences de l’organisation de l’administration portuaire, provoqua une obsolescence prématurée de ces infrastructures. Cette situation ajoutée aux dangers climatiques – la saison des cyclones s’étend du mois d’octobre au mois de mars -, à la présence endémique de la fièvre jaune, engendrait des attentes en rade, des difficultés d’accostage, l’accroissement des délais de débarquement/embarquement, une lenteur des opérations de fumigation et des formalités douanières interminables. Ces désagréments ne manquaient pas de préoccuper la Compagnie Générale Transatlantique mais aussi les pouvoirs publics français qui étaient tenus de la soutenir en cas de difficultés financières.
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Le paquebot Lafayette amarré au quai « fiscal » dans le port de Veracruz en 1921.
Source : Archives de l’État de Veracruz, Fonds Acosta, Xalapa Enríquez, Mexique.

Á cette époque, malgré les problèmes rencontrés à Veracruz, la Compagnie connaissait une grande prospérité grâce au renouvellement de sa flotte, à la réputation de luxe de ses paquebots qui attirait une clientèle fortunée et au transport des émigrants sur la ligne Le Havre-New-York.

De son côté, la ligne Saint-Nazaire-Veracruz qui souffrait du ralentissement de l’immigration espagnole vers Cuba, de la concurrence étrangère et de celle de la ligne Le Havre–Bordeaux-La Havane-Veracruz, devenue ligne postale subventionnée en 1882, peinait à dégager des bénéfices.

C’est pourquoi, en 1883, lorsque débutèrent les négociations pour le renouvellement des conventions postales, l’objectif était de doubler le service entre la France et le Mexique par la création d’une ligne subventionnée au départ du Havre. En février, un projet de loi autorisa la mise en adjudication pour une période 15 ans, à compter du 22 juillet 1885, de l’exploitation des services postaux de New-York, des Antilles et du Mexique. La nouvelle convention prévoyait une ligne hebdomadaire du Havre à New-York, une ligne annexe mensuelle de Saint-Thomas à Cayenne et quatre lignes principales mensuelles sur les Antilles et le Mexique : Saint-Nazaire-Colón, Saint-Nazaire-Veracruz, Le Havre-Bordeaux-Colón et Le Havre-Bordeaux-Veracruz.

Á cette occasion, Nantes et Saint-Nazaire firent cause commune et les chambres de commerce ainsi que les municipalités des deux villes protestèrent énergiquement contre le projet et envoyèrent une délégation à Paris. Pour appuyer cette démarche une pétition fut organisée en montrant que si le projet était approuvé, il détournerait au profit de Bordeaux et du Havre les avantages qui avaient été accordés à la Basse Loire. En dépit de ces protestations et de l’intervention de Fidèle Simon, député de Loire-Inférieure, qui dénonça la concentration des activités commerciales sur Le Havre, la ligne existante sur Colón au départ du Havre fut maintenue et la ligne Le Havre-Bordeaux-Veracruz devint officiellement le quatrième ordinaire des Antilles. Saint-Nazaire était affaiblie et résistait grâce à ses lignes de charge qui apportaient du fret en provenance d’Angleterre et d’Algérie aux paquebots à destination des Caraïbes et du Mexique ainsi qu’au transport des colis postaux vers les Antilles françaises et la Guyane.


Lignes de la Compagnie Générale Transatlantique desservant les Antilles, les Caraïbes, le Mexique et les côtes nord de l’Amérique du sud, en 1889.
Carte réalisée par l’auteur d’après le Bulletin des Postes de janvier 1892.

Au début du XXe siècle, la ligne Saint-Nazaire-La Havane-Veracruz, la plus ancienne, était déficitaire en raison de la concurrence des nouvelles lignes au départ du Havre et de la crise de Cuba qui provoqua un ralentissement de l’émigration espagnole. En 1902, lors de la renégociation de la convention postale, il fut donc question de transférer la tête de ligne au Havre, Saint-Nazaire devenant une simple escale. L’examen du projet de loi par les députés fut l’objet de débats passionnés.

Les défenseurs de Saint-Nazaire, reprenant une argumentation indéfectible, avançaient que la situation maritime du port était la meilleure de la côte atlantique, que la présence des chantiers navals permettait d’assurer l’entretien et les réparations des vapeurs et que la suppression de la tête de ligne porterait un coup fatal à l’économie de la région.

Les partisans du Havre soulignaient que la majorité du fret arrivant à Saint-Nazaire était réacheminée vers Le Havre plus proche de Paris et des grands centres industriels ce qui représentait des surcoûts d’exploitation importants. Ils estimaient aussi que la position géographique de Saint-Nazaire ne lui permettait plus de capter assez de passagers. Ils s’appuyaient, entre autres, sur un rapport du ministre de France à Caracas qui montrait que la clientèle latino-américaine – négociants, hommes d’affaires – considérait Saint-Nazaire comme « un coin perdu de France » et qu’elle privilégiait soit le port du Havre proche de Paris et des industries du nord, soit Bordeaux pour le commerce des vins et liqueurs ou encore Marseille qui offrait une alternative commode pour le transit des marchandises vers l’Italie et l’Espagne.

Saint-Nazaire garda sa ligne de justesse mais son avenir dépendait des passagers espagnols que les paquebots embarquaient aux escales de Santander et La Corogne. C’est pourquoi, en 1910, lorsque le ministre de France à Mexico demanda à la Compagnie de supprimer ces escales pour la traversée inaugurale du vapeur Espagne afin de marquer l’opinion publique par un événement qui devait compter dans les annales de la navigation, la direction refusa d’accéder à sa requête :

« Comme vous, j’estime qu’il est très utile de frapper l’opinion par une très belle première traversée et je donnerai toutes les instructions pour atteindre ce but, mais il ne me paraît malheureusement pas possible d’entrer dans vos vues en supprimant les escales de Santander et La Corogne. Vous connaissez au moins aussi bien que nous la situation de notre ligne. […] Vous savez que la clientèle espagnole est, je dois l’avouer, plus importante que la clientèle française : il faut donc absolument que nous lui donnions satisfaction, car elle contribue largement à nous procurer les recettes de la ligne ; c’est pour cette raison que nous avons donné à notre paquebot le nom d’« Espagne ». Supprimer les escales de Santander et La Corogne permettrait peut-être de frapper un peu l’opinion publique, au sujet de la vitesse du premier voyage, mais aurait certainement pour conséquence de nous aliéner notre clientèle espagnole sans laquelle notre ligne ne pourrait pas vivre. […] Monsieur Burgunder vous a bien renseigné en vous disant que je compte aller au Mexique à l’occasion de la fête que je compte donner à Veracruz pour l’arrivée de notre paquebot. Je ferai tout ce qui sera nécessaire pour qu’elle ait l’éclat qu’elle doit avoir pour le renom du pavillon transatlantique et surtout du Pavillon national. (Signature illisible). »

Lettre, en date du 22 août 1910, du directeur de la Compagnie Générale Transatlantique adressée à M. Lefaivre ministre plénipotentiaire de France à Mexico. Source : AHDGE-SRE, México D.F.


Le 21 Le 21 septembre 1910, le paquebot Espagne quitte Saint-Nazaire à destination de Veracruz. Collection Lera Frey.

Cependant, à la même époque, la ligne postale Saint-Nazaire-Veracruz perdait peu à peu sa clientèle au profit du Havre et même de Bordeaux mieux placée pour capter les passagers et les marchandises venant du sud de l’Europe. La crise économique de 1929 allait sonner le glas du port transatlantique.

Les recettes de la Compagnie s’effondrèrent et, en 1930, elle accusait un déficit de 30 millions qui atteindra 236 millions en 1931 : la « Transat » était au bord de la faillite ! Sans le secours de l’État qui exigea la présence de représentants au conseil d’administration et sa transformation en société d’économie mixte, elle aurait été mise en liquidation. Pour faire face à la crise, un plan d’économies draconien fut mis en œuvre : on réduisit les salaires, on licencia des officiers, on regroupa les services portuaires, on vendit des hôtels et on réorganisa les lignes maritimes en supprimant les escales inutiles et les lignes déficitaires. Dans ces conditions, le ministre de la Marine marchande autorisa à espacer les voyages entre Saint-Nazaire et Veracruz. Quatre eurent lieu en 1932, trois seulement en 1933, tous déficitaires. C’était la fin et Saint-Nazaire protesta en vain contre l’abandon de sa ligne postale.

La crise passa et les comptes de la Compagnie se redressèrent à partir de 1935. Le succès du Normandie sur la ligne de New-York et les lignes rapides sur l’Amérique centrale et les Antilles au départ du Havre attiraient de nouveau la clientèle tandis qu’une ligne plus lente desservait épisodiquement le Mexique, via Bordeaux et les ports espagnols, au départ de Saint-Nazaire. En 1936, l’arrivée au pouvoir du Front populaire provoqua une vague de revendications sociales et des mouvements de grève qui touchèrent tous les personnels de la Compagnie. L’année suivante, afin de compenser le coût des acquis sociaux notamment l’augmentation des salaires, un programme d’économies entraîna la suppression des lignes déficitaires et le transfert au Havre des derniers services restés à Saint-Nazaire.


L’agence de la Compagnie Générale Transatlantique à Saint-Nazaire. Phototype de Vassellier. Collection Lera frey.

En 1939, la seconde guerre mondiale éclata et la Compagnie Générale Transatlantique allait devoir faire face au troisième conflit depuis sa création en 1861.